"Le deuil d'un enfant est la chose la plus dure qu'un être humain puisse vivre"

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Le psychanalyste et spécialiste du deuil Pascal Neveu explique les étapes que traverseront les parents suite à la perte d'un enfant et comment les aider à continuer de vivre.


Lefigaro.fr/madame. - Peut-on se remettre de la mort de son enfant ?

Pascal Neveu. - Non, on ne s'en remet pas, n'importe quel parent vous le dira. C'est le deuil le plus compliqué car il n'est pas dans la nature des choses, il rompt le sens de la vie. Le décès concerne en théorie une personne âgée, dont l'héritage revient aux enfants. L'enfant n'a pas le droit de mourir avant ses parents. Ces derniers rentrent dans un mécanisme d'incompréhension totale, surtout pour la mère qui est celle qui a donné la vie. Les pères de famille sont parfois encore plus impactés car ils n'osent pas exprimer leur souffrance. On a énormément de taux de tentatives de suicide chez les pères endeuillés. Il faut reprendre goût à la vie mais cela demande beaucoup de temps.

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Quelles sont les étapes que vont traverser les familles qui ont perdu un enfant ?

D’abord, il y a la sidération, le choc de l’annonce. Ensuite, l'acceptation, tout sauf évidente. Certains parents peuvent passer par des mécanismes de déni puissants. Cela empêche d'entrer dans le travail de deuil classique, c'est-à-dire un état dépressif. On réalise que la personne ne reviendra pas, on va effectuer sans cesse des flashbacks avec des souvenirs. L'absence de l'enfant sera criante lors des rendez-vous familiaux à table le dimanche, à Noël, durant les anniversaires, la fête des mères, des pères… Ensuite, ils se détacheront du mort et reprendront goût à la vie. Même si pèse sur eux un interdit de jouir de la vie.

Cette interdiction vient-elle de la société ou des parents eux-mêmes ?

Il y a le regard des autres qui pèse beaucoup. On dira d'un homme qui continue de vivre qu'il est capable de résilience. Le cas des femmes, de l'image de « la veuve joyeuse », est différent : on observe chacun de ses gestes. Les pères et mères portent en eux une grande culpabilité. Un parent est là pour protéger son enfant. On entre dans le système d'impuissance du parent convaincu qu'il aurait pu sauver son enfant.

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Les parents vont-ils se reporter d'autant plus fort sur leurs autres enfants ?

Cela dépend. Parfois ils surinvestiront les autres enfants de la fratrie. Dans d'autres cas, l’enfant décédé prend plus de place que les autres. Certains parents fétichisent la chambre de l'enfant restée intacte, la « chambre du petit », qu'il ait 12 ou 30 ans. Ils voudront la conserver pour avoir encore une présence de l'enfant, avec des objets souvenirs, des photos, des odeurs... S'il s'agit de l'enfant préféré ou d'un enfant unique, c'est encore pire.

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Quel rôle positif peut jouer l'entourage ?

En général, il va amplifier la douleur en répétant « la pauvre, elle a perdu son fils ». Les enfants survivants qui enveloppent trop leurs parents leur disent d'une certaine façon qu'ils sont incapables de surpasser la douleur seuls. En général, 75% de l'entourage finit par s'éloigner. Les parents endeuillés ne veulent plus voir personne, ils ont honte de s'effondrer en public. Certains proches ne savent pas quoi dire, ont peur du sujet de la mort, ne supportent pas leur impuissance ou en ont juste marre de parler du défunt. Pour aider, on doit accepter d’être dans une écoute active et une parole passive. Les mots ne serviront à rien dans un premier temps, il faut attendre plusieurs mois. En revanche, il faut tirer la sonnette d'alarme et dire clairement les choses si les endeuillés entrent dans un mécanisme pathologique : s'ils gardent des photos de leur enfant dans toutes les pièces ou un mausolée permanent par exemple.

Que peuvent faire les parents pour aller mieux ?

Ceux qui décident de voir un psy doivent en choisir un qui soit spécialisé dans le travail de deuil. Ils peuvent contacter l'association "Vivre son deuil", ou se référer au très bon livre de Christophe Fauré, Vivre le deuil au jour le jour pour voir où ils en sont dans le processus. Il ne faut pas se forcer à faire des choses. Si l'on ne veut pas sortir, on ne sort pas. Il faut accepter de souffrir. Ils doivent s'autoriser à pleurer, à parler, à accepter la douleur et les émotions. Si l'on bloque la parole, plus personne ne communique.

(Source : http://madame.lefigaro.fr)

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